Retour sur la table-ronde « No bike No business ? » Le vélo, un atout pour l’économie locale

Retour sur la table-ronde « No bike No business ? » Le vélo, un atout pour l’économie locale

« No parking No business » disait Bernado Trujillo, théoricien américain de la grande distribution dans les années 50. Nous avons cherché à savoir si nous avions changé d’époque…

7 intervenants, 120 participants, il est grand temps de faire un petit retour en arrière sur notre table-ronde « No bike No business » dont le thème portait sur la place du vélo dans le développement de l’économie locale.

Animée par Mickaël Tardu, radio-journaliste et créateur de l’émission Tout Un Rayon, cette table-ronde a réuni l’adjoint à la Maire de Paris chargé des transports, Christophe Najdovski, des universitaires spécialistes des questions d’urbanisme et de mobilité, Laetitia Dablanc et Nathalie Lemarchand, des acteurs du monde du commerce, Pascal Madry et Guillaume Simonin, un journaliste spécialiste des transports en la personne d’Olivier Razemon, et un entrepreneur à vélo, Mathieu Eymin, du collectif Boîtes à vélo.

Cycliste consommateur, cycliste livreur, cycliste auto entrepreneur : nos invités et les participants qui les ont interrogés sans complaisance, ont réussi à faire un tour d’horizon des opportunités que représente le vélo pour le commerce local. Réunis à l’Ecole Normale Supérieure, ils ont eu l’audace d’exprimer leurs accords et désaccords sur le rôle que le vélo devrait jouer – ou non – dans les affaires de la ville.

L’exception parisienne

Olivier Razemon, auteur de Comment la France a tué ses villes, nous a décrit les conséquences d’un développement commercial essentiellement périurbain : des centres-villes dépeuplés et des commerces moribonds. Les centres-villes qui étaient au cœur des modes de vie locaux ne le sont plus. Ils se résument à des boutiques de souvenirs produites en série, dont les clients disparaîtront avec leur caravane à la fin des vacances scolaires. Pour autant, comme l’a rappelé Nathalie Lemarchand, les centres-villes sont le cœur du patrimoine historique et culturel local. Or, aucune synergie n’existe entre un patrimoine vivant et des commerces morts. Dans ce contexte, le vélo est un formidable atout de revivification des centres-villes en accord avec une politique en faveur de la ville apaisée, moins bruyante et moins polluée.

Paris constitue l’exception d’un centre-ville conservant son dynamisme culturel et commercial. Christophe Najdovski décrit l’explosion du nombre de supérettes à Paris qui s’explique en grande partie par la démotorisation accrue des ménages. Pascal Madry n’hésite pas à choquer l’auditoire pour décrire l’organisation des commerces parisiens : « A Paris, l’organisation des commerces est totalement archaïque : on a énormément de petites boutiques alors qu’aujourd’hui 65 % du commerce en France se fait dans les moyennes surfaces, les consommateurs se rendent aux commerces à pieds ou en vélo alors qu’ailleurs, ils y vont en voiture, l’essentiel de la consommation se fait intra-muros … c’est le commerce du 19ème siècle… ! » 

Comment les commerçants peuvent-ils faciliter la vie de leurs nouveaux « consommateurs cyclistes » ?

L’accès aux commerces demeure difficile pour les cyclistes : manque d’emplacements-vélos, packagings inadaptés au peu d’espace disponible à bord, … les intervenants s’accordent sur le besoin qu’une réflexion soit menée avec les commerçants sur ces questions. Certains commerçants estiment que le moyen de transport utilisé par les consommateurs n’est pas déterminant pourvu que ceux-ci parviennent effectivement jusqu’à eux. « Les commerces sont là où sont les consommateurs quelle que soit la façon dont ils arrivent aux magasins » tranche Guillaume Simonin. D’autres commerçants sont effrayés à l’idée de perdre des emplacements destinés aux véhicules motorisés. Christophe Najdovski a rappelé les réticences souvent rencontrées : « les commerçants ne me demandent pas spontanément des arceaux à vélos… les associations traditionnelles de commerçants sont encore sur le modèle automobile, même à Paris, il faut être clair ».

Or, comme l’a rappelé Mickaël Tardu en introduction de la table-ronde, des études à Dublin, East Village (New York), et Portland (Oregon) montrent que les cyclistes consomment plus et plus souvent que les automobilistes dans les commerces de proximité.

Des études supplémentaires (sur le panier de consommation des cyclistes, leur origine géographique, par exemple, en partenariat avec la CCI, pourraient permettre de disposer de données objectives afin de modifier les représentations et de convaincre les commerçants d’en faire plus pour le vélo. Christophe Najdovski insiste : « il faut jeter des passerelles entre le monde du vélo et le monde du commerce pour que ces deux mondes se parlent ».

Reste la question du vélo-cargo en libre-service abordée par plusieurs personnes dans le public lors des séances de questions. « Entre l’Autolib’ et le Vélib’, il y a un chaînon manquant qui est le vélo cargo en libre-service, nécessaire lorsque je veux transporter des choses qui prennent plus de place », a expliqué l’adjoint en charge des transports à la Mairie du 11ème arrondissement.

Auto-entrepreneuriat à vélo : ceux qui le veulent et ceux qui le subissent

Mathieu Eymin a eu l’occasion de raconter son quotidien d’entrepreneur-jardinier à vélo. Pour lui, les avantages de sa situation concernent tant son modèle économique que son bien-être au travail : « Pédaler permet de réduire ses charges et d’être très compétitif. Tout le temps qu’on ne passe pas dans les bouchons, on le passe chez nos clients à travailler et à communiquer. C’est apaisant. ». Les principales difficultés qu’il identifie dans l’exercice de son métier sont celles de la sécurité du stationnement de son vélo-cargo. C’est également un problème partagé par un intervenant dans le public, réparateur de vélos itinérant, qui a souligné les difficultés rencontrées quotidiennement pour garer son vélo. Si Mathieu Eymin s’est par ailleurs réjoui des progrès réalisés à Paris en termes de pistes cyclables, il en a également souligné les limites : « dès qu’on sort de Paris, c’est l’enfer. Le périph est une vraie limite. ».

A côté d’un auto-entrepreneuriat à vélo épanouissant et s’inscrivant dans une philosophie revendiquée de la lenteur, Laetitia Dablanc a tenu à rappeler l’apparition il y a 2 ans d’un nouveau marché au développement spectaculaire : celui de la livraison à vélos par des auto-entrepreneurs, connectés par des applications numériques à une plateforme faisant l’interface entre le consommateur et la marchandise. 2,5% de l’ensemble des livraisons à Paris sont désormais effectuées par des coursiers livreurs auto-entrepreneurs à vélo. Et pourtant, on est loin ici du modèle de l’ auto-entrepreneur à vélo par choix et par conviction. Laetitia Dablanc a évoqué une enquête récente auprès de 100 coursiers. La première génération de coursiers était principalement composée d’étudiants, passionnés de vélo. Aujourd’hui, la deuxième génération est moins diplômée ; ces nouveaux coursiers pédalent à temps plein (voire beaucoup plus) et ils utilisent plus le vélo par contrainte que par plaisir souvent parce qu’ils ne possèdent pas le permis de conduire « transport léger » qui nécessite de l’argent et quelques jours de formation.

Le e‑commerce, c’est de la logistique … à vélo ?

Une autre tendance a été débattue lors de la table-ronde, celle de la croissance du e‑commerce. Selon Pascal Madry, le e‑commerce croit toujours mais de moins en moins vite. Néanmoins, difficile de faire abstraction de ce nouveau paradigme commercial qui a pris essor sur la toile … mais dont les effets sont bien réels. Olivier Razemon n’hésite pas à se montrer sarcastique : « le e‑commerce est tout sauf dématérialisé : c’est pas internet qui te livre, c’est une camionnette blanche avec un chauffeur sous-payé qui se gare sur la piste cyclable ou sur le trottoir ».

Dans ce contexte, le e‑commerce représente, on le comprend sans trop d’efforts, une formidable opportunité pour favoriser les livraisons à vélo, dans le cadre d’un modèle économique respectueux des droits sociaux des coursiers, mais c’est un autre débat. Laetitia Dablanc souligne cependant le besoin de développer des plateformes logistiques au cœur des villes pour rendre cela possible. Christophe Najdovski indique que la Mairie de Paris porte plusieurs projets d’ELU, hubs logistiques en ville nécessaires pour assurer la livraison du dernier kilomètre de façon vertueuse. Olivier Razemon rappelle toutefois que l’accent mis sur le dernier kilomètre ne doit pas cacher le reste de la chaîne logistique. Nos volontés de consommateur d’être livrés de plus en plus vite doivent être questionnés.

Peut-on vraiment transformer la ville ?

Nathalie Lemarchand l’a rappelé à juste titre : les villes n’étaient pas conçues pour la voiture, jusqu’à qu’elles soient transformées dans les années 60 dans le but de faciliter le passage et le stationnement automobiles. Si une telle transformation a été possible, on peut avoir bon espoir qu’un nouveau bouleversement de la ville voit le jour, en faveur du vélo cette fois, et que les centres commerciaux se démodent au profit de centres-villes ressuscités.

La table-ronde a rendu compte de projets en cours qui permettent de donner le change à des arguments pessimistes parfois un peu trop faciles. Par exemple, le collectif des Boîtes à vélo, dont Mathieu Eymin est un représentant, a proposé un projet de réhabilitation du passage Forceval entre Paris et Pantin dans le cadre de l’appel à projets logistiques lancé par la Mairie de Paris. Il s’agit de donner de l’espace, des outils, et des conseils à ceux qui voudraient lancer leur business à vélo.

Et d’autres projets sont à lancer ! Christophe Najdovski a saisi l’opportunité de la table-ronde pour « tendre une perche » aux représentants de commerçants : « Il y a beaucoup de livraisons sur très courtes distances qui se font en mode diesel qui n’est pas adapté pour les courtes distances. On pourrait mettre en place une charte pour les commerces de centres villes qui utilisent beaucoup les livraisons motorisées : ils pourraient s’engager d’ici un certain temps à ce que les livraisons soient organisées avec le mode vélo ou en tout cas électrique sur des distances facilement substituables par le vélo ».

Pour conclure …

La montée en puissance des préoccupation écologiques, l’adhésion de plus en plus partagée à l’idée de la ville apaisée, l’engouement des nouvelles générations pour l’entrepreneuriat et l’indépendance dans le travail, le développement exponentiel du e‑commerce et des livraisons rapides, sont autant de grandes tendances identifiées pendant notre table-ronde et qui penchent en faveur du vélo, à la fois comme remède et comme ambition.

Nos intervenants se sont accordés sur l’idée que le développement de la pratique du vélo en ville ne peut être que bénéfique au commerce local et représente un potentiel à exploiter. Des divergences sont tout de même apparues quant à l’importance de ce potentiel. Les différentes interventions ont également montré qu’il reste de nombreux obstacles à franchir. La solution vélo nécessite d’être pensée et intégrée dans une politique plus vaste, qui doit associer les commerçants, les entreprises de logistiques, les élus, les associations et les citoyens.

A Paris en Selle, nous choisissons de croire en une solution nouvelle pour la ville de demain. Cette solution passe par la démocratisation du vélo : elle est devant nous, venez nous aider à l’organiser !

Les participants à la table-ronde

  • Christophe Najdovski, Adjoint à la Maire de Paris en charge des transports, des déplacements, de la voirie et de l’espace public.
  • Olivier Razemon, journaliste et auteur spécialisé des transports, qui a récemment publié “Comment la France a tué ses villes”
  • Mathieu Eymin, paysagiste et jardinier à vélo, trésorier de l’association Les Boîtes à vélo (Paris-IDF), le collectif vélo-porteur pour ceux qui entreprennent à vélo.
  • Laetitia Dablanc, directrice de recherche à l’IFSTTAR-Université Paris-Est, spécialiste du transport des marchandises et de leur rapport à l’espace, aux territoires et à l’environnement.
  • Pascal Madry, Directeur de l’Institut pour la ville et le commerce
  • Nathalie Lemarchand, géographe, spécialiste de l’aménagement commercial, directrice-adjointe du Ladyss (Laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces).
  • Guillaume Simonin, responsable du pôle économie et social de l’Alliance du Commerce, un regroupement de commerçants qui représente environ 200 000 salariés et 25 000 magasins.

La conférence en images

Nous remercions très chaleureusement Elisabeth Collin pour sa créativité ! Voici le lien vers son sketchnote de la table-ronde.

Nos remerciements également à Isabelle Lesens pour sa présence à la table-ronde et son article de blog à ce sujet dont le lien se trouve ici.

Vous pouvez également retrouver la conférence en vidéo sur YouTube.